CHAPITRE XVIII

Un halo d’atmosphère s’effilochant dans l’espace entourait le planétoïde de forme irrégulière protégé par sa lune-garnison.

– Bienvenue dans l’Eden de la Galaxie, fit Lando.

Luke songea à son monde, Tatooine, à la Mer des Dunes, au Grand Puits de Carkoon et aux Terres Brûlées de Jundland.

– J’ai vu pire, répondit-il.

D2 acquiesça d’un sifflement strident.

– Tu n’as rien vu. Nous sommes encore en approche.

Calrissian ouvrit une fréquence. Si Kessel avait un bon réseau de surveillance, la sécurité avait dû repérer le Lady Luck à l’instant où le navire était sorti de l’hyperespace.

– Bonjour, Kessel ! Quelqu’un à l’écoute ? Je cherche un type appelé Moruth Doole. J’ai une affaire juteuse à lui proposer. Répondez, je vous prie.

– Qui êtes-vous ? répondit une voix surprise. Identifiez-vous.

– Mon nom est Tymmo. Si vous souhaitez d’autres renseignements, dites à Doole qu’il pose ses questions lui-même.

Lando sourit à Luke. Utiliser le nom du tricheur d’Umgul ajoutait une certaine ironie à leur mission.

– En attendant, continua-t-il, mon associé et moi avons de l’argent à dépenser – un demi-million de crédits, pour être exact. Alors, allez chercher Doole.

Un long moment, le haut-parleur demeura muet ; l’officier en référait certainement à son supérieur.

– Nous vous transmettons les paramètres d’entrée en orbite, monsieur Tymmo, répondit-on enfin. Suivez précisément les instructions. Notre bouclier d’énergie est actuellement en service ; vous serez désintégré si vous tentez d’atterrir sans autorisation. Compris ?

Skywalker échangea un regard avec son ami ; ils haussèrent tous deux les épaules.

– Nous attendrons que Doole déroule le tapis rouge, fit Calrissian. Si cela prend trop de temps, j’irai dépenser mon argent ailleurs.

Il croisa les mains derrière sa nuque et s’adossa à son siège de pilote. Sa mission, entrer en contact avec Doole sans éveiller les soupçons, était terminée. A présent, c’était à Luke de garder ses sens de Jedi en alerte.

Avant de quitter Coruscant, ils avaient préparé de fausses identités, laissant dans les banques de données de la Nouvelle République quelques traces de transactions irrégulières. Si possible, Skywalker resterait anonyme.

Au-dessous d’eux, Kessel tournait lentement.

Une voix rauque retentit dans le haut-parleur :

– Monsieur Tymmo ? Je suis Moruth Doole. Est-ce que je vous connais ?

– Pas pour l’instant… Mais d’importantes liquidités me disent que vous en mourez d’envie.

– Que voulez-vous dire ? Mon officier a mentionné un demi-million de crédits ?

– J’ai récemment gagné gros aux courses de blobs umgulliennes. Je cherche où investir ma fortune. J’ai toujours pensé que l’exploitation des épices était une activité rentable. Vous voulez en discuter ?

Doole marqua une pause pour cacher son avidité :

– Un demi-million de crédits est un excellent sujet de discussion. Je vous envoie une escorte dans le couloir d’accès du bouclier d’énergie.

– Je suis impatient de vous rencontrer, rétorqua Lando.

Moruth émit un gloussement de batracien.

 

Lando sortit du Lady Luck pour se retrouver sur l’aire d’atterrissage du complexe impérial. Des véhicules légers, des transports de surface et autres navires à moitié démontés l’entouraient.

En costume de prix, Lando avait l’œil vif et le sourire facile. A son côté, Luke portait un uniforme dépourvu de signe distinctif.

Un méli-mélo d’hommes en armure impériale d’assaut ou en tenue de prisonnier conduisit Luke, Lando et D2-R2 vers l’énorme édifice central de forme trapézoïdale.

Les lieux semblaient incarner des années de souffrances et de châtiments. Assailli par des néfastes émanations psychiques, Luke eut du mal à conserver son calme. Les sens en alerte, il resta sur le qui-vive. Au moins, leur escorte ne paraissait pas les menacer…

Ils s’engagèrent dans les turbo-ascenseurs extérieurs du bâtiment. A travers le transparacier, Luke vit s’étendre à ses pieds les étendues désolées de Kessel.

Quand ils atteignirent la substructure administrative, les gardes leur firent signe de les suivre.

Bureaucrates et fonctionnaires minables fourmillaient dans les halls, l’air harassé. Doole avait-il conçu cette mise en scène pour impressionner Lando ?

En tout état de cause, l’activité paraissait plus chaotique qu’efficace.

Moruth Doole vint à leur rencontre dans les couloirs de l’aile administrative de la prison. L’amphibien se frotta les mains et les salua d’un signe de tête. Un appareil optique cachait un de ses yeux.

– Bienvenue, monsieur Tymmo ! fit Doole. Permettez-moi de m’excuser du peu d’amabilité avec laquelle nous vous avons reçu. Votre visite tombe à un moment des plus inopportuns. Hier, j’ai perdu mon bras droit et mon contremaître dans un accident. Aussi, pardonnez-moi cet accueil… peu chaleureux.

– Ne vous en faites pas, répondit Lando, serrant la main du Rybet. J’ai été administrateur de plusieurs mines. Parfois, il semble que la planète elle-même refuse de coopérer.

– C’est bien vrai ! C’est une manière de voir les choses…

– J’espère que ce désastre ne coûte pas trop à la production de glitterstim ?

– Oh, nous reprendrons notre rythme normal sous peu.

Calrissian désigna Luke :

– Mon associé est ici pour m’aider à évaluer l’exploitation et pour me conseiller sur l’opportunité d’investir. (Il prit une grande inspiration.) Je suis navré de m’imposer ainsi à l’improviste. Dites-moi, comment pourrais-je recapitaliser votre affaire ?

Doole leur fit signe de le suivre dans son bureau :

– Entrez, nous allons en discuter.

Le Rybet leur indiqua des sièges ; D2 se plaça près de Skywalker.

Jetant un coup d’œil rapide alentour, Luke remarqua un homme congelé dans la carbonite ; les diodes des signes vitaux étaient éteintes.

– Un de vos amis ? demanda-t-il.

Doole ricana :

– Un ancien adversaire. C’était le directeur de cette prison, avant que notre révolution rende ses lettres de noblesse à l’industrie des épices. (Il s’assit lourdement derrière son bureau.) Puis-je vous offrir des rafraîchissements ?

Lando croisa les bras :

– Je préfère d’abord discuter affaires. Si nos négociations sont fructueuses, nous pourrons les arroser en buvant un verre.

– Excellente politique, répondit le Rybet, se frottant à nouveau les mains. J’ai déjà réfléchi ; je dispose peut-être de ce qui représenterait pour vous l’investissement parfait.

« Avant sa mort, notre contremaître avait découvert un important filon. Il nous faudra beaucoup d’argent et d’efforts pour dégager le tunnel éboulé et exploiter le secteur, mais les bénéfices dépasseront vos rêves les plus fous.

– Les miens le sont particulièrement, rétorqua Calrissian avec un large sourire.

Luke les interrompit d’une voix calme :

– Vos déclarations sont des plus extravagantes, monsieur Doole. Permettriez-vous à mon unité D2 de se brancher sur votre réseau pour consulter votre chiffre d’affaires des deux dernières années ? Ces données m’aideront à conseiller M. Tymmo.

Moruth grimaça à l’idée qu’on lui demande des comptes ; Lando tira de sa poche une carte de transfert de crédit :

– Je vous assure que ce droïd n’endommagera pas votre système de données. Je serais ravi d’effectuer un petit dépôt si cela vous soulage. Disons… cinq mille ?

Le Rybet oscilla entre son désir de garder une certaine confidentialité à ses affaires et l’appât du gain, symbolisé par le riche investisseur… sans compter les cinq mille crédits.

– Entendu. Mais votre droïd aura accès au réseau cinq minutes, pas une de plus. Il ne lui en faudra pas davantage pour obtenir les renseignements.

Skywalker hocha la tête :

– Ce sera suffisant, merci.

De toute manière, D2-R2 ne gaspillerait pas son temps à vérifier les comptes. Il chercherait immédiatement des données concernant Solo, Chewbacca ou le Faucon Millenium.

D2 se brancha à un jack, près du bureau. Son bras de connexion s’engagea dans le connecteur prévu à cet effet.

Entre-temps, Lando poursuivait :

– J’aimerais voir tous les aspects de l’exploitation. Je suis certain que vous pourriez arranger une visite guidée. Comprenez-vous, j’ai toujours été un homme de terrain. Je souhaiterais aussi voir le tunnel éboulé.

– Heu… comme je le disais, le moment est mal choisi. Si nous pouvions prévoir une autre visite, à une date plus propice…

Calrissian haussa les épaules et fit mine de se lever :

– Je comprends. Si vous n’êtes pas intéressé, je peux m’adresser ailleurs. Cet argent me brûle les mains. Je dois le placer maintenant. Il y a d’autres mines sur d’autres planètes.

– Mais elles exploitent le ryll, pas le glitterstim…

– Elles restent rentables.

D2 se déconnecta et se tourna vers Luke. Bien que le Jedi ne comprît qu’en partie le langage du droïd, le message était clair : il n’avait pas trouvé Solo.

Rien ne semblait incriminer Doole.

Si les banques de données avaient contenu des renseignements sur le Faucon, ils n’y étaient plus…

– Alors, quelle est l’opinion de votre droïd ? demanda le Rybet.

– Il ne trouve rien d’anormal, expliqua Skywalker.

Il échangea un regard dépité avec Lando.

Doole se leva, radieux :

– Très bien. Je comprends votre inquiétude, monsieur Tymmo. Parfois, il faut savoir prendre des décisions. Je ne veux pas que vous quittiez Kessel avec des doutes. Venez, je vais vous faire visiter l’usine de traitement des épices, puis nous organiserons une excursion dans les tunnels.

Il leur fit signe de le suivre.

Les deux humains et le robot cherchaient toujours des signes de Yan Solo.

 

Un aéroglisseur les conduisit à l’entrée des tunnels éboulés.

– A l’époque où les Impériaux contrôlaient ce monde, ceci était le site d’une exploitation minière illégale, expliqua Moruth. Les responsables furent condamnés, le tunnel d’accès étant comblé jusqu’à ce qu’une avalanche l’ouvre à nouveau.

Le Rybet les mena dans une immense grotte au plafond en partie écroulé où la lumière du soleil pénétrait à flots.

Une équipe d’une trentaine d’ouvriers déblayait des gravas. Les tunnels desservant la grotte avaient été bloqués par des portes pneumatiques pour empêcher la lumière d’activer les épices.

– C’est une occasion rare, monsieur Tymmo. (Doole était devenu plus loquace après la visite de l’usine de traitement du glitterstim.) Les épices doivent être collectées dans l’obscurité la plus totale, aussi nous voyons rarement les cavernes à la lumière du jour. Malheureusement, l’avalanche a détruit une partie du glitterstim. C’est pourquoi nous avons scellé les tunnels.

– Que s’est-il passé ? demanda Lando.

– Secousse tectonique, expliqua le Rybet.

Luke vit les endroits où des tirs de blaster avaient noirci les parois rocheuses ; les phénomènes sismiques n’étaient pas responsables.

Il sentit une vague de peur submerger Calrissian :

– Qu’est-ce que cette chose ?

De sous un tas de décombres dépassaient des dizaines de pattes. Des nodules ressemblant à des joyaux constellaient un corps sphérique. La créature avait été écrasée.

Doole approcha :

– Mes amis, il semble que ce soit l’être qui produit les épices. C’est la première fois que nous rencontrons un tel monstre, mais il doit en exister d’autres, dans les tunnels plus profonds. Nous avons appelé un xénobiologiste. Le corps paraît constitué de glitterstim ; les gisements sont formés à partir de sa toile.

Le Rybet s’arrêta à moins d’un mètre du monstre.

Le garde responsable de la dissection se joignit à eux. Il donna un coup de pied dans une des pattes.

– Nous voulons savoir si nous pouvons extraire du glitterstim brut de la poche à toile du monstre.

Moruth écarta les bras, emphatique :

– Ne serait-ce pas extraordinaire ? Du glitterstim pur !

Lando hocha la tête. Jouant toujours son rôle, Luke chercha d’autres informations. Comment cela affectait-il leur niveau de sécurité ? Cette créature avait-elle attaqué les mineurs ?

– Oui, elle en a tué plusieurs, parmi eux le contremaître et mon bras droit. Combien de cadavres avez-vous découverts ? demanda le Rybet au garde.

– Trois encore frais, deux plus anciens. Mais elle a dû faire davantage de victimes. Il manque encore un Wookie et deux humains.

Sans se départir de son sourire de faux jeton, Doole foudroya l’homme du regard.

Skywalker frissonna. Hélas, il n’y avait aucun moyen de savoir si le Wookie était Chewbacca. L’Empire avait réduit le peuple de Kashyyyk en esclavage. Des survivants avaient pu finir sur Kessel.

– Très intéressant, fit Calrissian.

– Venez, il y a d’autres choses à voir. (Doole retourna vers l’aéroglisseur.) J’espère que vous êtes impressionnés.

– Tout à fait, répondit Lando. Votre exploitation minière est particulièrement intéressante, Moruth.

Skywalker demeura silencieux.

Toute la journée, il avait utilisé ses sens de Jedi pour localiser Yan ou Chewbacca. Il n’avait rien décelé.

Yan Solo n’était peut-être jamais arrivé sur Kessel ; en tout cas, il n’était plus là.

Du moins vivant…